Thème : La publicité
Voici notre première discution qui démarre fort : la publicité à l'école.
La question principale de ce débat sera :
Quelles sonts vos impressions face à ces abus publicitaire ?
Les abus publicitaires ne sont ils pas que le reflet d'un "trop plein" capîtaliste ?
Petite mademoiselle : Suzanne Lycée Jean Jaurès, Montreuil
Photographie : LoWa
«Notre décision d’annoncer sur Channel One a été prise après avoir examiné
la programmation de la chaîne et constaté ses aspects bénéfiques pour les
écoles et les élèves. A nos yeux, rien ne permet d’affirmer que deux minutes de
publicité quotidienne mettent l’avenir de nos enfants en danger»
La chaîne Channel One
diffuse des émissions avec de la publicité dans les écoles en dépit des
critiques: les annonceurs sont prêts à payer le prix fort pour toucher ce
public captif.
Une révolution commerciale s’est produite lorsque la
chaîne de télévision Channel One a été lancée au printemps 1990 dans 400 écoles
secondaires à travers les Etats-Unis. Ce projet d’émissions scolaires avec
spots publicitaires a été imaginé par Christopher Whittle, un audacieux homme
d’affaires du Tennessee spécialisé dans les médias, qui a bâti son empire en
imaginant de nouveaux moyens d’exposer les Américains à la publicité et au
marketing.
«Dans un monde parfait, ce serait au gouvernement, et non aux hommes
d’affaires, de fournir ces programmes», reconnaissait-il à l’époque. Il disait
souvent en plaisantant que les élèves américains croyaient que Tchernobyl était
un nom de famille (Cher Nobyl), preuve de leur grand besoin d’émissions
d’actualités.
Aux Etats-Unis, la publicité était entrée dans les écoles bien avant Channel
One. Les élèves étaient habitués aux tableaux d’affichage sportif sponsorisés
par Coca-Cola ou Pepsi, aux annonces dans les annuaires ou dans les journaux
des écoles. Mais la diffusion dans les établissements scolaires d’un journal
télévisé «spécial adolescents» a été une nouveauté qui a fait sensation.
Un pacte avec le diable
Channel One offre à chaque école une antenne parabolique, un
magnétoscope, la pose de câbles et un téléviseur par classe, afin de diffuser
son émission quotidienne de 12 minutes, dont deux minutes de publicité. L’école
signe un contrat par lequel elle s’engage à ce qu’un maximum d’élèves puisse
voir l’émission. Elle peut par ailleurs utiliser le réseau vidéo à d’autres
fins, comme la réalisation par les élèves d’un journal télévisé ou la diffusion
de documentaires éducatifs.
D’emblée, de nombreux détracteurs ont considéré ce contrat comme un pacte avec
le diable. A leurs yeux, l’école cède le contrôle d’une petite partie du temps
scolaire et «livre» les élèves aux annonceurs. Presque tous les syndicats ou
associations d’enseignants ont adopté des résolutions hostiles à ce concept.
Certains Etats, comme celui de New York, l’ont carrément interdit dans les
écoles publiques; d’autres ont menacé de réduire leurs subventions pour les deux
minutes «cédées» chaque jour par les écoles aux annonceurs.
Mais, aux Etats-Unis, dans les années 90, l’heure était à la décentralisation
des systèmes scolaires. De nombreux conseils d’administration ou directeurs
d’école ont décidé d’accepter l’équipement vidéo. Certains ont jugé ces
émissions utiles à des adolescents qui ne s’intéressent guère aux quotidiens ni
aux journaux télévisés des chaînes nationales. Ils ont aussi considéré que les
publicités n’étaient guère différentes de celles que les élèves pouvaient voir
des milliers de fois sur le petit écran familial.
Quelque 12 000 écoles ont donc été rapidement câblées par Whittle
Communications et huit millions d’élèves des collèges américains ont regardé
Channel One tous les jours. La chaîne est devenue rentable, mais les émissions
scolaires n’ont pu sauver l’empire médiatique de Christopher Whittle de la
ruine. En 1994, celui-ci a vendu Channel One à K-III Communications, devenu
ensuite Primedia. Entre-temps, les entreprises américaines ont profité de la
voie ouverte par Channel One pour multiplier les annonces publicitaires en
milieu scolaire.
• Les grandes marques de boissons gazeuses comme Pepsi
ou Coca-Cola se sont battues pour obtenir un contrat d’exclusivité les
autorisant à installer des distributeurs couverts de logos dans l’enceinte des
écoles, celles-ci partageant les bénéfices réalisés.
• Les hebdomadaires Time et Newsweek ainsi que le
quotidien New York Times ont publié des suppléments d’actualité spécialement
conçus pour les écoles primaires ou secondaires, qui contiennent souvent de la
publicité.
• Un livre de mathématiques publié par McGraw-Hill,
l’un des principaux éditeurs scolaires, a fait scandale en 1999 en utilisant
des marques déposées et des logos de produits dans l’énoncé de ses problèmes.
L’éditeur a expliqué qu’il voulait rendre les textes plus attrayants pour les
élèves.
• L’entreprise californienne ZapMe! a fourni
gratuitement des ordinateurs et un accès à Internet aux écoles qui, en
contrepartie, se sont engagées à ce que les élèves les utilisent au moins
quatre heures par jour. ZapMe! diffuse du même coup des annonces ciblées sur
les jeunes.
Les producteurs de Channel One sont très attentifs au contenu de leurs
émissions. Au début, l’accent était mis sur l’actualité et les sujets
«sérieux». Puis, des thèmes légers et populaires sont apparus, que les
enseignants ont décriés. Ces dernières années, la tendance est aux problèmes
sociaux proches des préoccupations des élèves et aux reportages internationaux.
«Au début des années 90, on concevait plutôt l’émission comme une succession de
grands titres, constate Paul Folkemer, vice-président de Channel One. La
stratégie actuelle est d’aller plus au fond des choses, avec un côté plus
didactique.»
L’émission diffusée le 4 janvier 2000 est assez représentative. Channel One a
proposé un long reportage sur la démission surprise du président russe Boris
Eltsine et des interviews d’experts en sécurité nationale. La chaîne a montré
des images d’un voyage réalisé par son correspondant en Russie en 1997, où l’on
voyait notamment des citoyens russes vendre leurs biens dans la rue. L’émission
comportait en outre un jeu sur des vedettes de variétés, une rubrique destinée
à susciter des débats en classe, un reportage sur la fin d’un détournement
d’avion en Inde et deux pauses publicitaires. Il s’agissait ce jour-là d’un
spot sur le chewing-gum Juicy Fruit et de deux «annonces de service public»: un
message contre la drogue et un autre mettant en garde les jeunes contre les
dangers potentiels d’Internet.
«Je participe tous les jours aux discussions sur le contenu des émissions, pour
que tout ce que nous diffusons ait un rapport avec les programmes scolaires
nationaux», affirme Paul Folkemer, ancien directeur d’école. Les Etats-Unis
n’ont pas de programmes scolaires imposés à l’échelon fédéral mais des normes
ont été collectivement établies dans presque toutes les matières.
L’émission Teaching the News présente à l’avance, à l’intention des
enseignants, les sujets qui seront traités au jour le jour. Une autre, The
Power of One, valorise les initiatives personnelles. La chaîne a ainsi
diffusé le portrait d’une lycéenne de Virginie, qui a rassemblé des fonds pour
offrir des chèvres à des familles du Rwanda. Une journaliste de Channel One,
Tracy Smith, s’est rendue dans ce pays pour enquêter auprès des bénéficiaires
de l’opération. Son reportage expliquait aussi le contexte des conflits
ethniques au Rwanda. Ces incursions à l’étranger sont fréquentes et certains
observateurs reconnaissent à Channel One le mérite d’accorder beaucoup
d’importance aux nouvelles internationales. En 1998, la revue critique sur les
médias Brill’s Content a salué un reportage de la chaîne sur la crise
politique indonésienne, jugé plus substantiel que celui proposé le même jour
par le grand réseau NBC.
Cependant, une étude portant sur 36 émissions a révélé que seulement 20%
environ du temps d’antenne étaient effectivement consacrés à des reportages sur
l’actualité, les 80% restants étant dévolus à des jeux, à la météo, au sport ou
à des potins hollywoodiens. Cette recherche, conduite par William Hoynes,
professeur de sociologie, a conclu que «la véritable fonction de la chaîne
n’est pas journalistique mais commerciale». Ce professeur critique aussi le
style des reportages. «Les présentateurs font figure d’aventuriers parcourant
le monde à la recherche d’une histoire intéressante, fait-il remarquer. C’est
cette dimension individuelle qui est mise en avant dans les nouvelles et non
les problèmes ou les événements abordés. […] Les actualités sur Channel One
servent à la promotion de la chaîne et à celle d’une culture et d’un style
jeunes», ajoute-t-il. Selon lui, cette approche promeut un «climat» favorable à
la publicité, et ce n’est pas un hasard.
La diffusion sur Channel One de pages de publicité demeure très controversée.
Début 1999, plusieurs politiciens conservateurs américains en vue ont joint
leurs voix à des libéraux qui dénonçaient depuis longtemps le mercantilisme en
milieu scolaire. Cette coalition avait obtenu qu’une commission du Sénat
examine cette question, une grande partie de la séance étant consacrée à
Channel One. Il n’a jamais été sérieusement question de légiférer à ce sujet
mais la séance de mai 1999 n’en a pas moins opposé de manière spectaculaire les
partisans de Channel One à ses multiples détracteurs.
Quand Ralph Nader s’en mêle
Libéraux et conservateurs ont toutefois des préoccupations
différentes. Les conservateurs sont surtout hostiles à divers aspects de la
culture pop, comme les clips de la chanteuse de rock à scandale Marilyn Manson
ou les annonces pour des films interdits aux moins de 17 ans parce qu’ils
présentent des scènes sexuelles ou violentes. Phyllis Schlafly, grand nom du
militantisme conservateur, a estimé que Channel One «permettait aux annonceurs
de contourner les parents».
Les libéraux, eux, formulent les mêmes critiques que les consommateurs opposés
aux annonceurs et aux grandes entreprises: ils refusent que ces dernières
puissent acheter un «accès» à leurs enfants entre les murs de l’école; ils s’opposent
à ce que les établissements vendent du temps scolaire à des intérêts
commerciaux. Chef de file américain de la défense des consommateurs, Ralph
Nader considère que Channel One constitue «le stratagème commercial le plus
éhonté de toute l’histoire des Etats-Unis». Cette chaîne véhicule un message
matérialiste, assure-t-il, «elle corrompt toutes les écoles et sape l’autorité
morale des directeurs et des enseignants».
En 1999, Commercial Alert, une association de consommateurs affiliée à celle de
Ralph Nader, a écrit à tous les grands annonceurs de Channel One, les pressant
de cesser leurs «pubs» sur cette chaîne. Quatre grands arguments étaient
avancés: le fait que Channel One force les enfants à regarder les annonces;
qu’un temps scolaire précieux soit ainsi perdu (en 1998, deux chercheurs ont
estimé que les deux minutes de publicité diffusées par Channel One dans 12 000
écoles «coûtaient» à celles-ci quelque 300 millions de dollars en temps perdu);
que l’argent des contribuables en matière d’éducation soit gaspillé; et que les
émissions dépendent, dans leur contenu, des choix de producteurs et non de
parents ou de conseils d’administration élus.
Rares sont les annonceurs qui ont renoncé. La plupart d’entre eux n’ont même
pas répondu à cette lettre. Parmi les exceptions figure Nabisco, qui diffuse
une publicité pour le chewing-gum Bubble Yum. «Notre décision d’annoncer sur
Channel One a été prise après avoir examiné la programmation de la chaîne et
constaté ses aspects bénéfiques pour les écoles et les élèves, ont indiqué les
dirigeants de Nabisco. A nos yeux, rien ne permet d’affirmer que deux minutes
de publicité quotidienne mettent l’avenir de nos enfants en danger.»
Les groupes comme Nabisco, Pepsi, Proctor & Gamble (annonces sur la crème
pour le visage Clearasil ou sur les chips Pringles par exemple), les studios de
cinéma ou l’Armée américaine (à des fins de recrutement) paient le prix fort
pour toucher les huit millions de téléspectateurs de Channel One: jusqu’à 200
000 dollars pour un spot de 30 secondes. La chaîne souligne d’ailleurs dans son
argumentaire à l’intention des annonceurs que son émission «est vue par plus
d’adolescents que n’importe quel autre programme de télévision» et qu’elle est
«la manière la plus astucieuse de toucher les 9-14 ans», une tranche d’âge très
convoitée. «Les enfants, et notamment les adolescents, sont souvent une cible
difficile pour les annonceurs», constate Gary Ruskin, directeur de Commercial
Alert. Aussi les vendeurs vont-ils là où sont les enfants, là où ils sont
forcés d’être: à l’école.»
Les responsables de Channel One décrivent les adversaires de la publicité comme
un groupe bruyant mais restreint, qui avance des arguments éculés. «Je ne
connais personne qui soit en faveur d’un mercantilisme pur et dur, proteste
Andy Hill, directeur de la programmation de Channel One. Les discussions
portent sur deux minutes de publicité et non sur nos 10 minutes d’émission de
qualité. Nos détracteurs sont le plus souvent en dehors du monde scolaire.» De
fait, estime Roy Lewis, enseignant en Californie, «la grande qualité de Channel
One, c’est de remettre les évènements dans leur contexte». Il existe d’autres
moyens, rétorque-t-on, d’ouvrir l’école à l’actualité. CNN a ainsi réalisé à
l’intention des écoles une émission sans publicité, mais la chaîne câblée
n’offre pas gracieusement l’équipement nécessaire.
Le journalisme pratiqué par Channel One dépasse désormais le cadre scolaire.
Récemment, le chaîne a proposé des reportages, deux fois par mois, à CBS pour
ses programmes matinaux. Des projets similaires sont en cours d’élaboration
pour la chaîne câblée MTV et pour le nouveau réseau câblé Oxygen destiné aux
femmes. Channel One prépare aussi un programme d’initiation aux médias pour les
écoles et son site Internet, qui propose depuis longtemps des compléments
d’informations et de jeux notamment, a vu son budget augmenter.
Vente et reventes
Simba Information Inc., qui enquête sur les budgets consacrés aux
médias éducatifs, estime que les recettes de Channel One et d’une entité jumelle
vendant des documentaires aux écoles, ont été de 118,5 millions de dollars en
1999. Actuel propriétaire de la chaîne, le groupe Primedia refuse de publier
les résultats de Channel One. Ce groupe, qui publie des revues comme Seventeen,
Soap Opera Digest ou Automobile, a récemment vendu certaines de
ses publications dans le domaine de l’éducation, dont le vénérable magazine
scolaire américain My Weekly Reader. Cèdera-t-il aussi Channel One? Son
nouveau PDG, Tom Rogers, un ancien de NBC, semble décidé à garder la chaîne
pour l’intégrer dans le paysage des médias du futur qui allient télévision,
Internet et enseignement à distance.
Prochain sujet : toujours sur le théme de la publicité, j'attend vos sujets, sur le même modèle que celui-ci.